Nouvelle série photo : Parallèles

Parfois les événements décident pour vous.
Il se trouve que j’avais tout un ensemble d’images de La Montagne Saint-Michel, au cœur des Monts d’Arrée en Bretagne fait à l’été 2021.
Et en juillet et août 2022, dans une vague de canicule inédite en ces lieux, tout ce site est la proie des flammes.
Je décide de préparer un retour sur place quelques mois plus tard.
Aujourd’hui, la série qui rend compte de cette expérience est dévoilée.

Je revisite un lieu radicalement changé par l’incendie qui l’a touché, et y projette le souvenir de ce qu’il était auparavant. C’est un paysage qui a basculé dans son négatif, en une étrange métamorphose.
Ces photographies mettent en scène les résonances entre les deux états, tels deux mondes parallèles. Des fragments entremêlés construisent un nouvel espace fictif, doté de sa propre perspective et de ses propres règles, révélant d’autant plus les transformations d’un monde en profonde mutation.

L’incendie a détruit la lande et épargnant de peu la chapelle située à son sommet. L’ensemble du site a été restauré par le département du Finistère, avec l’appui financier de la Fondation Artemis de François Pinault. La chapelle vient de rouvrir au public.
Mais ce que permettent ces images, c’est de toucher du doigt l’ampleur de la métamorphose subie. L’incendie n’a pas seulement brûlé la couverture végétale, il a emporté le sol, ramené à nu, au roc. Cette pierre blanche de squelette, qui tranche sur le sol calciné noir. Il y a une forme de sidération lorsqu’on visite un lieu aussi profondément changé.

J’ai aussi soigneusement que possible reproduit l’image « d’avant », et au jeu des comparaisons inévitables, on voit bien la ligne de crète altérée. Il faudra bien du temps pour que le site naturel de landes retrouve sa douceur luxuriante.
Il ne faut bien sûr pas s’interdire d’inverser le cours du temps dans ces images, et voir dans les fragments verdoyants l’avenir d’un site renaissant. Mais très naturellement on mesure surtout la destruction qui a eu lieu.
Chose inhabituelle dans mon travail, ces images revêtent ainsi un caractère d’alerte environnementale, de préoccupation publique, à l’heure où se multiplient les épisodes caniculaires. Ce n’était pas mon but premier mais j’admets tout à fait que ces images tiennent aussi ce rôle, qui se superpose à mes recherche des ressorts d’activation des souvenirs, des va-et-vient entre les perceptions, les sensations. Parler de fragmentation des paysages de mémoire tient ici un sens plus direct, plus brutal sans doute.

Ce qui m’importait aussi, c’était de ne pas simplement plaquer un avant-après assez plat, en coupant simplement l’image en deux par exemple. Non, je souhaite provoquer une situation qui fasse ressentir le caractère d’étrangeté de cette métamorphose. Ni l’avant, ni l’après : l’entre-deux, le passage de l’un à l’autre. Pour cela j’ai fait apparaître une sorte de paysage fictionnel, une construction indépendante d’un état et de l’autre. Et c’est cette dernière qui distribue les droits de passage du passé au présent (ou du présent à l’avenir?), et attire l’attention sur elle, guide le regard sur ce qui a changé, dirige et rend visible la mutation.

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